Bras croisés, les yeux rivés sur le paysage qui défilait à toute allure derrière la vitre de la voiture, Marla réalisait qu’il lui serait bien difficile de quitter son Texas natal. Elle avait beau qualifier Spring Branch de trou paumé, de vieux patelin et autres sobriquets péjoratifs, à peine s’en éloignait elle plus de deux semaines que le mal du pays se faisait ressentir. Ce n’était pas tant le paysage qui la rendait nostalgique, ni même ses habitants, c’était davantage semblable à un un je ne sais quoi, savant mélange des valeurs texanes qui y étaient profondément ancrées et de l'arôme de beurre rance si caractéristique des bières enfilées au Smokey Mo's BBQ. — Tu vas voir Marlene, avec la simulation 3D tu vas vraiment pouvoir visualiser le potentiel du terrain. C’est la voix du conducteur, l’associé de Lex, qui l’extirpe de sa rêverie. Si au début du trajet elle l’écoutait d’une oreille attentive, son flot de paroles intarissable avait eu raison de sa patience.
Bientôt la voiture quitta le bitume pour s’arrêter sur un vaste terrain sableux et, perchée sur ses talons aiguilles, la bouche carmin et les yeux dissimulés par de larges hublots noirs, Marla descendit du véhicule. Du bout de l’index, la blonde baisse ses lunettes sur son nez, puis les remonte, comme si elle vérifiait sa vue. — C’est le fameux terrain ? Son loquace accompagnateur acquiesce. Elle ne rêvait donc pas, il s’agissait bien du terrain faisant face au Sherry Butt. Un terrain qu’elle connaissait plutôt bien, terrain sur lequel il lui était arrivé de se garer, par peur qu’on raye malencontreusement sa Jeep rouge, quand elle devait rejoindre Alec, terrain sur lequel elle s’était adonnée à quelques plaisirs charnels avec ce dernier, avait enfarinée son nez de poudre blanche et/ou enfilée l’alcool bon marché que servait l’établissement. Toujours en compagnie du Swarek. Il fallait donc croire que le destin s’amusait de ce genre de coïncidences. — Je vais prendre quelques photos, tiens. L’homme lui tend une tablette et s’éloigne, smartphone en main. À son tour elle s’écarte, fait quelques pas en direction de la route, relève de temps à autre la tête pour comparer les plans qu’elle visualise sur la tablette et celui qui se dresse derrière elle. Jusqu’à une silhouette quelque peu familière n’attire son regard au loin. — Tiens donc, toi, ici. Ironie quand tu nous tiens.

la chaleur étouffante le prend aux tripes. pourtant, il devrait être habituer depuis le temps, au soleil texan. la saison bat son plein et le sherry butt est étrangement silencieux. bien loin de l'agitation qu'on lui connait une fois la nuit tombée. les chaises qu'il empile sur les tables, les unes après les autres, tandis que son dos su déjà la transpiration. un raclement de gorge avant de se rendre compte que la soif marque le manque de salive de sa bouche. il s'arrête quelques secondes adem, pense au boulot immense qu'il lui reste à faire. mais les bières fraiches déposées dans le frigo sous le comptoir du bar sont tentantes. enivrantes. il y songe. quelques foutues millièmes de secondes. la tentation est trop forte pour le blondinet à l'air exténué. deux, trois pas à peine avant que ses phalanges n'attrapent la poignée du frigo, qu'elles n'arrachent une bouteille en verre. la capsule qui rejoint le sol avec arrogance tandis que ses pupilles se laissent happer par le paysage de l'autre côté des vitres teintées. il fait bon dehors, trop pour rester enfermer.

la première goulée qui envahit son estomac, elle est délivrante. avant de sortir, adem a enfilé sa casquette, traine ses sales godillons sur les terres arides de sa promesse. le perron est tentateur. un instant seulement. jusqu'à ce que les silhouettes juste en face n'attirent son attention. il fronce les sourcils, dépose sa bouteille sur la rambarde et entame le pas vagabond vers les âmes. il lui faut pas deux secondes à adem pour reconnaitre une des silhouettes. ces courbes féminines, ces longs cheveux blonds et cette démarche digne d'un film pour gamines. qu'est-ce qu'elle fiche là ? il siffle dans sa barbe, avance à pas de loup avant de se retrouver qu'à quelques mètres à peine de la blonde. la remarque qu'elle lui serre, tel un venin acerbe. la vipère est dans les coins. adem a jamais pu se la voir. a jamais pu la détester non plus. un je m'en foutisme général. alec est pas là. comme s'il pouvait être la seule et unique raison de sa présence. mais son regard s'emmêle, repère la deuxième âme au loin, tablette à la main. il revient à marla, contemple l'immense papier qu'elle tient entre ses doigts. sans lui demander la moindre permission et parce que surtout, y a un brin d'agacement, adem lui arrache ce fichu papier, s'octroie le droit de regarde. les sourcils qui se froncent, l'air inquiet qui divague le long de ses traits. un plan. un plan. ça a dû mal à monter jusqu'à cette bouche entrouverte qu'il affiche sans se cacher. l'idée vient d'émerger. c'est quoi ça ? ton futur palais ? un rire qu'il n'arrive pas à dissimuler tout en tournant ses yeux bleus vers son petit minois. alors ?

Alec est pas là. Douze lettres, quatre mots qui restent prisonniers de sa tête, de son cœur, de son âme, de son corps tout entier. Elle veut les chasser mais ils restent là, aiguisés comme des lames au creux de ses entrailles. Ils s'entremêlent, se dispersent. Les mots génèrent les maux et les maux engendrent les mots. — Non désolé, je ne suis pas là pour ça. Et j’ai assez donné avec ton frère. Ou ta stupide famille, elle aurait bien laissé la remarque s’échapper d’entre ses lèvres mais à en juger le gabarit de l’associé de Lex, il ne serait très certainement pas de taille à affronter le courroux du Swarek, si le coeur l’en disait de répliquer fougueusement. Et  pourtant dieu sait que ça la démange. Il faut dire qu’elle ne s’attendait à réagir intérieurement de la sorte à la simple évocation de son prénom. Ce n’est pourtant pas la première fois qu’il est énoncé depuis leur rupture mais il faut certainement croire qu’accompagné d’un air de famille aussi prononcé que le sien, il est encore capable de la mettre dans tous ses états. Elle n’a pas le temps de surenchérir qu’Adem s’est déjà permis de dérober les plans d’entre ses mains. Elle le laisse faire, l’observe un instant et ne peut s’empêcher d’étirer ses lippes charnues d’un sourire empli d’un ravissement certain. — Oh, tu n’es pas au courant ? La main gauche posée sur sa poitrine, elle ne peut s’empêcher de feindre l’étonnement, voir de le surjouer, de façon de presque dramatique. — C’est ce qu’on appelle un plan, Swarek. C’est un dessin d’un bâtiment si tu préfères. Le ton de sa voix se veut infantilisant, presque abruti. Elle aurait pu cracher le morceau et voir sa mâchoire déjà entrouverte se décrocher, mais ça l’amuse la blonde de faire durer le suspense. Alors elle s’écarte de quelques pas, foule le parterre sableux de ses escarpins vernis à la semelle rouge et cadre le paysage qui leur fait face de ses doigts finement manucurés. — Je verrais bien des palmiers de Californie à l’entrée. Oh, et une fontaine. Elle attire l’attention de l’associé de Lex à quelques mètres d’eux, ayant encore oublié son prénom. — Note ça, une fontaine et des palmiers. Californiens de préférence, qu’elle répète en haussant la voix de façon à ce qu’il l’entende. Et pour agacer Adem. Elle prend plaisir à pavaner Marla, perchée sur ses hauts talons, le faciès arrogant, sachant pertinemment que ce genre d’attitude suffisante à le don de lui faire lever les yeux au ciel. Elle finit par faire un tour sur elle-même, le toise de ses grands yeux verts et lui arrache les plans des mains. — Je te rassure Adem, tu seras invité à l’inauguration du casino.

elle a les babines qui dégoulinent, l'allure d'une lionne. mais derrière son maquillage peint à outrance, y a la fragilité d'une gamine. celle qui fait la tête dure mais qui a le coeur brisé par les silences ou les cris. qu'importe. adem n'a jamais cherché à comprendre la relation que marla entretenait avec son frangin. trop compliqué. trop fastidieux à ses yeux. et surtout, d'une inutilité déconcertante. ils se tiraient vers le bas mutuellement. s'entrainaient dans les abysses les plus sombres dans l'espoir certain, qu'un jour, l'un des deux contemplent la lumière aveuglante de de l'amour. le vrai. il s'est jamais fait d'illusion. son frère n'est pas né pour aimer profondément. ni même pour chérir un seul. tant est si bien qu'il soit capable d'en chérir un seul hormis son âme. même elle encore, il arrive à la blesser. à se trahir lui même. rien que par la pensée. adem n'est pas dupe, adem n'est pas aveugle. il connait assez son petit frère pour savoir que marla n'a été qu'un jouet de plus. peut être que tu te trompe. peut être qu'il l'a aimé. mais tu te feras jamais à l'idée. parce que elle, tu l'aimes pas. mais ça la touche la blonde. rien que l'évocation du prénom de son cadet arrive à faire rougir ses joues figées. il tique. arbore un sourire narquois même pas cacher. il lui donnera pas le plaisir de se priver. pas aujourd'hui. le blond relève pas sa remarque, il est déjà happer par la bout de papier qu'elle a entre les mains. qu'elle tient vigoureusement et à la fois, qu'elle fait trainer devant ses pupilles. l'air innocent. ça lui va pas. elle sait pas faire semblant.

le plan qu'il lui arrache des mains. il sait pas faire dans la délicatesse avec elle. s'octroie le droit sans lui demander la moindre permission. adem ne comprend pas sur le moment, laisse ses yeux bleutés parcourir le papier. des plans. très bien. mais y a toujours son sourire moqueur sur le bord des lèvres, celui qu'il lui offre encore au moment même où sa tête tourne vers elle. la réponse, il l'attend et au moment même où elle entame son jeu de femme niaise, son sourire disparait. je sais ce qu'est un plan, merci. la rancune siffle dans sa bouche. l'agacement commence à parcourir son échine, trouve refuge dans la poigne de sa main tandis qu'il resserre un peu plus son emprise sur le chiffon qu'il tient. ce foutu bout de chiffon qui n'est rien d'autre qu'un plan à la noix. son ton de voix qui augmente au fur et à mesure de son récit et le regard d'adem qui suit. y a le mec au loin qui acquiesce sans broncher. la lopette du coin à n'en pas douter. gosses de riches qui se croient tout permis. elle a rien construit de ses mains marla. elle n'est qu'une figure d'hypocrisie. se complet dans son monde pourrie.

la blonde finit par lui arracher le plan des mains, lui servant l'indélicatesse de ses sentiments. elle se sent fière. comme si elle venait de découvrir le plus beau des trésors. adem, quant à lui, reste planter là, comme un stupide con sur le sol sableux de son texas. les bras ballants face à la colère qui lui titille dangereusement les narines. il inspire. une fois. puis deux. détourne les yeux de la harpie qui se pavane comme al capone. un casino ? il se répète le mot. juste pour être sur qu'il est bien comprit. et l'maire est d'accord avec ça ? il a mit des plombs à avoir une autorisation lui. mais rapidement, ça émerge dans son cerveau. l'argent donne passe droit un peu partout. ça l'étonnerait pas qu'on lui ait grassement verser de quoi accepter sans broncher. y aura pas de casino ou quoi que ce soit d'autres en face de sherry butt. il se contrôle, apaise les tensions qui l'emprisonnent peu à peu. c'est qu'une foutue nana adem. ses pupilles qui reviennent vers les siennes, il cligne pas des yeux. se veut un brin autoritaire. t'as pigé ? un pas. un autre. jusqu'à coller son torse gonflé contre le frêle corps de marla. tu l'sens ? le venin qui coule dans tes veines. celui de toutes les folies, de toutes les colères. celui que tu renie. parce que t'aime pas ce gars là. alors tu vas gentiment repartir avec ce qui te sert de chien, remonter dans ta bagnole et ne plus jamais revenir. ses poings qui se sert contre sa carcasse fumante et un pas qui se met brutalement à reculer. il suffoque. s'empoise l'atmosphère de cette haine viscérale qui est née sans raison.

Il n’a pas l’air de prendre la pleine mesure de la situation Adem ou c’est peut-être juste qu’il ne la prend pas au sérieux parce que c’est elle. D’aussi loin qu’elle s’en souvienne, elle a toujours eu à faire face à ce genre d’attitude Marla, l’habitude de n’être que trop rarement prise en considération, d’être relégué au rang des oubliés, de ceux que l’on n’écoute pas, ceux qu’on préfère ne plus écouter ou à qui on n’a même jamais accordé le bénéfice d’une quelconque attention. On lui a toujours dit qu’elle n’avait pas besoin de tout ça Marla, qu’elle, elle n’avait qu’à être jolie et arborer le faciès de circonstance. Et ça a longtemps été d’une facilité déconcertante, et longtemps elle s'est complu dans ce credo qui lui seyait à merveille : sois belle et tais-toi. — Oui, un casino. Jusqu’à ce qu’elle réalise à quel point il était satisfaisant d’aller à l’encontre des diktats qu’on lui imposait. Flirter avec l’impensable, s’éprendre de l’interdit. — Non. Ça tombe comme un couperet, ça glisse d’entre ses lèvres malgré la distance qu’il vient de réduire entre eux, malgré son imposante carrure et son souffle rauque qui vient gifler sa peau laiteuse. — Il y aura ce que mon fiancé voudra sur ce putain de terrain. Elle a beau jouer à la petite fiancée de l’Amérique depuis qu’elle fréquente Lex, il suffit de quelques mots pour la faire surgir. La fille du coin profondément ancrée au plus profond de ses entrailles, celle qui braille à s’en briser la voix, celle qui se fiche des bonnes moeurs et des convictions, celle qui connaît les règles du savoir-vivre sur le bout de ses doigts finement manucurés mais préfère ne pas toujours les appliquer. Malpoli à souhait, irrévérencieuse à s’en damner. — Et si je veux un putain de casino, il y aura un putain de casino Swarek. Et tu peux me menacer autant que tu veux, ça n’y changera rien. Elle marque une pause, histoire de se calmer, de ne pas lui faire le plaisir de rentrer dans son jeu. — Je n’y peux rien et toi non plus, c’est pas mon fric. Pour tout te dire, j’étais moyennement enchantée quand on m’en a parlé. Mais on devrait pouvoir trouver un arrangement non ?
Ses lèvres s’étirent délicatement, à peine recouverte d’un voile hypocrite. Dans le fond elle se fiche de ce casino comme elle se fiche de la gêne qu’il occasionne à l’encontre de son interlocuteur mais elle est capable de déceler dans l’actuel situation un certain intérêt. Au point tel d’être prête à s’y intéresser de plus près, au risque de s’y brûler les ailes, sachant pertinemment de quoi il en retourne quand on se met à fricoter avec les Swarek.